Une fascinante lumière

Le chant polyphonique a cappella est une discipline à vocation initiatique : on n’y vient jamais par hasard… Lorsque je décidai, en fondant Stella Maris voici six ans, d’orienter mon travail dans cette direction ardue, je fis ce choix idéaliste en m’appuyant à la fois sur un héritage et un horizon. L’héritage, c’était celui de mon passé de maîtrisien : on ne sort pas indemne de la fréquentation assidue des grands maîtres de la polyphonie renaissance. Quant à l’horizon, il s’agissait d’une envie dévorante. Celle de transmettre à mes chanteurs la passion du son, cette magie éphémère et fragile qui jaillit des énergies, des intelligences et des cœurs concourant à l’ébauche d’une parcelle d’éternité.

Or, cette passion du son m’est venue voici dix ans, lorsque je découvris l’existence d’un répertoire absolument exotique chanté dans des langues étranges, tout entier travaillé par une exigence que les Allemands ont parfois appelé das Klang , la « sonorité » du chœur qui vibre en unisson harmonique à la manière d’un cristal, pour essayer de traduire maladroitement ce concept.

Les compositeurs d’Europe du Nord me firent accéder à une dimension de l’art vocal que je ne connaissais pas, à savoir la recherche d’une transparence suffisante de la polyphonie pour qu’apparaisse une sorte de relief caché dans la musique. Le chœur devenait alors un instrument extraordinaire capable d’exprimer les émotions les plus intimes comme les plus violentes, avec une clarté et une force n’ayant rien à voir avec le lyrisme des chanteurs.

C’est pourquoi l’approche spécifiquement nordique du travail choral que j’ai reçue auprès de Gunnar Erikkson, Bo Johanson, Karl Høgset et Laurence Equilbey influence fortement l’identité sonore de Stella Maris depuis sa création.

C’est aussi la raison pour laquelle j’ai attendu que le chœur vienne à une certaine maturité avant d’opérer ce qu’il faut bien appeler un retour aux sources.

Musique aux mille visages mystérieux et envoûtants, musique de lumière, ces paysages sonores exigent une limpidité d’interprétation à laquelle nous essaierons de faire honneur, avec toute l’admiration qu’elle nous inspire profondément.

A propos des œuvres et des compositeurs du Nord

Comprendre la musique romantique vocale nordique, c’est avant tout se souvenir que partout en Europe, la seconde moitié du XIXème siècle voit l’émergence d’un vaste mouvement culturel populaire axé sur le folklore national. Menacé par le colonialisme des voisins plus puissants, ou bien mis en danger par l’exode rural, le chant immémorial des ancêtres, de transmission orale, constitue un répertoire aussi inépuisable qu’insaisissable pour des compositeurs soucieux de célébrer par leur art l’âme bien vivante et enracinée de leur pays. C’est l’idée que si l’on ne s’en saisit pas pour l’intégrer à la musique « savante », ce chant est condamné à s’évanouir dès lors qu’il n’y aura plus personne pour s’en souvenir et le chanter à ses enfants.

Pays à l’histoire neuve ou ancienne, qu’importe ; les nations nordiques sont toutes pétries de traditions encore vivaces aujourd’hui, et n’ont jamais sacrifié leur folklore sur l’autel de la modernité.

En Suède, Hugo Alfvén (1872-1960) et ses compatriotes David Wikander (1884-1955) et Wilhelm Stenhammar (1871-1927) peuvent être considérés comme les pères de la musique chorale moderne scandinave. Tous trois chefs de chœur, ils n’ont de cesse de promouvoir le répertoire a cappella de leur pays en organisant tournées en Europe et festivals de musique vocale.

Par ailleurs, Stenhammar a mené une partie de ses études à Berlin, où il est fortement marqué par l’influence des romantiques allemands que sont Brahms, Liszt et Wagner. On retrouvera donc dans sa composition une inclination pour les harmonies chatoyantes et colorées, mais avec une souche folklorique suédoise très perceptible dans la tendresse presque naïve des Tre Körvisor composés dès 1890.

La musique des deux autres Suédois, elle aussi, s’approprie des thèmes romantiques telle l’idéalisation d’une nature personnifiée dans Kung Liljekonvalje, le malheureux roi Muguet qui se meurt de chagrin au milieu de funèbres accents. Cependant, là encore une atmosphère purement scandinave baigne l’évocation du soir, Aftonen, d’une parfaite immobilité qui n’est pas sans rappeler les immensités enneigées du grand Nord.

Cette incursion du chant populaire dans le répertoire savant n’épargne pas même la musique religieuse, ce dont les Fire Salmer du Norvégien Edvard Grieg (1843-1907) procurent un exemple frappant.

Celui qui disait « Sur la centaine de Lieder que j’ai écrite, un seul, la Chanson de Solveig, emprunte son thème au folklore » ne peut s’empêcher, au soir de sa vie, de citer dans son deuxième Psaume une mélodie traditionnelle aisément reconnaissable à son côté enjoué !

Lorsque l’on sait que ces quatre Psaumes forment la dernière œuvre et le seul opus sacré du compositeur, on conçoit à quel point cette citation prend des allures de testament musical.

Il n’en va pas de même pour l’immense figure que représente Jean Sibelius (1865-1957) pour la musique nordique. Sa patrie, la Finlande, connut une répression du sentiment séparatiste durant les jeunes années du compositeur et n’accéda à l’indépendance qu’en 1917.

Bien que né dans une famille parlant le suédois, il apprend le finnois dès ses jeunes années et se passionne très tôt pour la mythologie et la poésie de son pays, notamment au travers du Kalevala, l’épopée nationale finlandaise.

Dès lors, Sibelius devient le chantre d’un romantisme local qui cherche à se démarquer de toute influence germanique. Sa musique vocale se nourrit donc essentiellement de la magnifique langue de ses ancêtres, pour laquelle il trouve dès 1890 des procédés de composition tout à fait uniques et inédits dans l’histoire du chant choral.